FRANCE - Formation territoriale

FRANCE - Formation territoriale
FRANCE - Formation territoriale

À l’encontre de ce qui fut jadis soutenu par nombre d’historiens, il semble établi aujourd’hui que la monarchie d’Ancien Régime ne connut presque jamais de politique des frontières naturelles. Aux XVIe et XVIIe siècles, les préoccupations et les méthodes des gouvernants en matière diplomatique et pour tout ce qui touche à l’expansion territoriale conservent bien des traits archaïques. Le droit des successions féodales reste pendant longtemps la règle de l’agrandissement du royaume. Plutôt que de constituer un ensemble de terres homogène et sans enclaves, on choisit de tenir des passages ou des forteresses, parfois fort éloignés de la masse territoriale, afin de préparer de futures offensives et d’aider les partisans qu’on ne manque jamais d’entretenir chez l’adversaire.

Il convient tout d’abord de préciser les notions de domaine, de royaume, d’État et de nation.

Le domaine , c’est la propriété patrimoniale du roi. Il se compose de propriétés foncières (terres, forêts, châteaux, cours d’eau) et d’un ensemble fort complexe de droits féodaux (rentes, péages, banalités, droits de nomination, etc.). Le royaume est formé de toutes les seigneuries qui sont dans la mouvance du roi, c’est-à-dire dont les possesseurs sont liés au souverain par la chaîne des hommages vassaliques. Au XVIIIe siècle, on tend à opposer royaume et empire. Un royaume présente dans l’esprit des contemporains une certaine unité du peuple, de la nation et des lois fondamentales qu’on ne rencontre pas dans un empire, beaucoup plus disparate.

Le domaine, initialement borné pour les premiers Capétiens aux environs de Paris et à quelques villes des vallées de l’Oise et de l’Aisne, s’est accru du comté de Toulouse sous Philippe le Hardi, de la Champagne sous Philippe le Bel, du Dauphiné sous Philippe VI, de la Guyenne après la guerre de Cent Ans, de la Bourgogne et de la Provence sous le règne de Louis XI. À plusieurs reprises, aux XIVe et XVe siècles, il s’est trouvé dangereusement amputé par des créations d’apanages en faveur des fils de la maison royale. Une nouvelle féodalité s’est reconstituée avec la création des maisons de Bourgogne, d’Orléans, de Bourbon, d’Armagnac, d’Albret. Malgré cela, ou à cause de cela, s’est dégagée la notion de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du domaine royal.

L’idée de nation est attachée à la possession en commun des mêmes mœurs et d’une même langue. Si l’État et la nation coïncident au début du XVIe siècle, il n’en a pas été toujours ainsi. Il existe, avant le XIIIe siècle, un rex Francorum , non un rex Franciae , des nations picarde, bretonne, bourguignonne, non une nation française. C’est la guerre de Cent Ans qui a fait apparaître la «nation française». Le mot «étranger», qui, au départ, désignait tous ceux qui n’habitaient pas la seigneurie, le village ou le «pays», en est venu à désigner celui qui n’appartient pas au royaume. La communauté à laquelle on avait conscience de participer s’est dilatée du pagus ou du comté aux dimensions du royaume.

Au XVIIe siècle, la patrie est à la fois l’État où l’on est né et la petite patrie, la province ou la ville que l’on habite. Ce sentiment de commune patrie recouvre chez beaucoup l’appartenance au royaume et l’obéissance à un même souverain, qui est un «prince naturel», ne dépendant de personne sur terre, sinon de Dieu, dont la famille est assurée du trône depuis des temps immémoriaux. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que les termes de patrie et de patriote seront comme détachés de la réalité monarchique.

Autre notion à avoir évolué elle aussi: la frontière . Au Moyen Âge, elle est souvent plus une zone qu’une ligne précise. Une forêt peut en tenir lieu, comme des landes, des marais, ou une montagne. L’enchevêtrement des droits et des fiefs gêne beaucoup la matérialisation de la frontière, qu’il s’agisse des limites des seigneuries ou de celles du royaume. Avant le XVIe siècle, on ne dispose d’ailleurs pas de cartes, en France, pour aider à la représentation de ces frontières, alors qu’elles existaient depuis le XIVe siècle en Castille, en Angleterre et dans certains États de la péninsule italienne. On y suppléait par des listes de fiefs, de droits, d’hommages, de paroisses, d’usages, qui convenaient à une frontière au tracé souvent très tourmenté, comportant des redans, des enclaves, des zones contestées et des régions dont on ne savait plus très bien de qui elles relevaient.

1. Des dominations féodales à l’administration royale

En 1498, à la mort de Charles VIII, la frontière du sud-ouest laisse en dehors du royaume le Roussillon et la Cerdagne, acquis par Louis XI en 1462-1463 et abandonnée par Charles VIII au traité de Barcelone (1493), avant son expédition d’Italie. Au sud-est, la Provence et le Dauphiné font partie du royaume, mais non le comté de Nice et naturellement pas la Savoie, qui forme un duché indépendant. La «comté» de Bourgogne (la Franche-Comté), à l’est de la Saône, appartient aux Habsbourg, comme partie de l’héritage bourguignon de Charles le Téméraire, avec le Charolais enclavé dans le duché de Bourgogne réuni par Louis XI au domaine. La frontière suit grossièrement les cours de la Saône et de la Meuse, excluant Verdun. Elle rejoint ensuite la Manche au sud de Calais. Si le comté de Boulogne appartient au roi de France, l’Artois, la Lorraine, les Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun), l’Alsace sont terres étrangères, relevant de la maison d’Autriche, du Saint Empire ou d’autres dominations.

La réunion des grands fiefs

Le rattachement de la Bretagne

À l’avènement de Louis XII, il subsiste à l’intérieur du royaume un certain nombre de grands fiefs: les diverses branches de la maison d’Orléans possèdent, au centre du pays, les duchés de Bourbon et d’Auvergne, les comtés de Clermont-en-Beauvaisis, de Vendôme et de Sancerre, le Forez et le Beaujolais. La maison d’Alençon tient le duché du même nom, avec le comté du Perche, celui de Foix-Albret, des terres du Sud-Ouest au pied des Pyrénées, le Béarn en toute souveraineté et le comté de Dreux. Mais, en 1498, la Bretagne est en voie de rattachement au royaume.

Le 19 août 1488, le traité du Verger scellait la défaite de François II de Bretagne devant Charles VIII. La présence des troupes françaises à Dinan et à Saint-Malo obligeait le duc de Bretagne à promettre d’expulser les étrangers ennemis du roi et à ne jamais marier ses filles, Anne et Isabeau, sans le consentement du roi de France. Un mois plus tard, François II mourait, et aussitôt la cour de France réclamait la tutelle des deux princesses. Le maréchal de Rieux essayait de donner Anne à Alain d’Albret; mais, à la fin de l’année 1490, un mariage par procuration l’unissait à Maximilien d’Autriche. La menace était fort grave pour le roi de France, dont les troupes occupèrent aussitôt le duché, à l’exception de Rennes, où s’était réfugiée Anne de Bretagne. En décembre 1491, le dénouement fut, après l’annulation du mariage avec Maximilien, l’union d’Anne de Bretagne et de Charles VIII. Les époux se faisaient cession réciproque de leurs droits sur le duché. Anne s’engageait, si Charles venait à mourir sans enfants, à épouser son successeur.

En janvier 1499, Anne de Bretagne se remaria donc avec Louis XII, mais elle s’attacha à préserver l’indépendance du duché, qui devait passer au puîné des enfants royaux pour maintenir la séparation d’avec le royaume. Louis XII reconnut les libertés bretonnes: conservation des États, nomination des officiers par la reine-duchesse, etc. En 1504, il fut décidé que Claude de France, fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, épouserait Charles de Luxembourg, le futur Charles Quint. Le roi revint heureusement sur ce projet qui aurait restauré la situation de 1490, et fiança «Madame Claude» à l’héritier de la couronne, François d’Angoulême.

Les efforts d’Anne de Bretagne pour assurer l’autonomie du duché allaient être réduits à néant par les décisions de François Ier. En juin 1515, il faisait signer à son épouse un acte par lequel elle lui abandonnait la province, et elle consentit plus tard à ce que la Bretagne fût attribuée à l’aîné de ses fils, contrairement aux engagements de 1499.

Mais l’union n’était encore que personnelle et valable pour la seule vie du roi régnant. Les états se montraient soucieux de conserver les privilèges et l’indépendance du duché, considérant le roi de France seulement comme administrateur des biens du dauphin, duc de Bretagne. Il fallut donc attendre jusqu’en 1532 pour consacrer l’union du duché et du royaume. Des négociations avec les parlementaires et les députés des états aboutirent à la supplique des états de Vannes (août 1532). L’assemblée de Vannes sollicitait l’union sous réserve du maintien des libertés et privilèges de la province, ce qu’elle obtint. Les impôts devraient à l’avenir être octroyés par les états et les bénéfices réservés à des Bretons. Les membres du parlement, créé en 1552 par transformation des Grands Jours, seraient pour moitié des conseillers «originaires» (bretons) et pour moitié des «non originaires».

Dès l’avènement de Henri II, en 1547, le souverain abandonna le titre de duc de Bretagne. L’union était maintenant définitive.

Apanages et alleux

La maison d’Alençon s’éteignit en avril 1525 avec la mort du duc Charles VIII d’Alençon, comte du Perche, époux de Marguerite d’Angoulême. Ses domaines, grossis de l’héritage de la maison d’Armagnac, allaient passer à la maison d’Albret par le mariage, en 1527, de Marguerite avec Henri d’Albret. Les Albret constituaient à cette date la seule maison féodale subsistante depuis la confiscation des biens du connétable de Bourbon en 1523 et 1527. Charles de Bourbon, comte de Montpensier et dauphin d’Auvergne, avait épousé Suzanne, fille de Pierre de Beaujeu. Il réunit par ce mariage un ensemble considérable de terres au centre du royaume avec les duchés d’Auvergne et de Bourbon, les comtés de Forez et de Beaujolais, de Sancerre et de Gien, la principauté de La Roche-sur-Yon, et, au nord de la Loire, les comtés de Vendôme et de Clermont-en-Beauvaisis. François Ier profita de ce que Suzanne de Bourbon était morte sans enfants en 1521 pour réclamer les biens apanagés (duchés d’Auvergne et de Montpensier); puis il confisqua les terres lorsque le connétable se fut enfui auprès de l’empereur (1523). Charles de Bourbon devait mourir devant Rome en 1527. Quatre ans plus tard, François Ier réunit au domaine le Bourbonnais, et l’année suivante le Forez et le Beaujolais.

Un nouvel apanage d’Alençon fut constitué en faveur de François, frère de Charles IX et de Henri III, avec les duchés d’Alençon, d’Anjou, de Touraine et de Berry. Mais François mourut en 1584, et le duché d’Alençon fut donné par le roi à Henri de Navarre. Ce dernier, devenu Henri IV, réoccupa en 1600-1601 la Bresse, le Bugey, le Val Romey et le pays de Gex rétrocédés au duc de Savoie en 1559. En échange, le roi de France abandonna ses droits sur le marquisat de Saluces.

À son avènement, Henri IV était le dernier grand possesseur de fiefs dans le royaume. Les domaines de la maison de Bourbon-Navarre comprenaient les comtés de Soissons, de La Fère et de Marle sur l’Oise et l’Aisne, les duchés d’Alençon, de Beaumont et de Vendôme au nord de la Loire, la vicomté de Limoges et les comtés de Périgord et de Rodez au centre, enfin des possessions importantes dans le sud-ouest de la France (royaume de Basse-Navarre, duché d’Albret, comtés de Gaure, de Foix, d’Armagnac et de Bigorre, vicomtés de Béarn, de Marsan et de Limagne). Le nouveau roi refusa d’unir à la couronne ses biens patrimoniaux, invoquant les intérêts de sa sœur Catherine. Mais le Parlement de Paris refusa, en 1590, d’enregistrer les «lettres royaux» qui séparaient les biens patrimoniaux du souverain du reste du royaume. On considérait que, le roi épousant la Couronne, ce mariage politique devait confondre les biens des deux «parties». La mort de Catherine (1604) et les instances du Parlement firent fléchir Henri IV. En juillet 1607, un édit royal scella l’union. La Navarre et le Béarn, États souverains qui ne relevaient pas de la Couronne de France, ne furent annexés qu’en octobre 1620.

Au XVIe siècle, la conception – très importante pour la formation territoriale de la France – de l’inaliénabilité du domaine avait conduit le Parlement de Paris à casser le traité de Madrid (1526) et à s’opposer à ce que François Ier abandonnât la Bourgogne à Charles Quint. Cette conception s’est trouvée encore renforcée par les ordonnances de Moulins (1566) et de Blois (1579). Le «domaine fixe», l’ancien domaine de la Couronne, est inaliénable. Le «domaine casuel», résultant des acquisitions faites par le roi depuis son avènement, n’est aliénable que pendant dix années. Après ce temps, il se confond avec le domaine fixe et, comme lui, devient inaliénable.

Au début du XVIIe siècle, il subsiste bien en France des alleux, terres ne dépendant d’aucun seigneur, mais la plupart sont des «alleux justiciers», c’est-à-dire qu’ils restent soumis au roi en ce qui concerne la justice et la souveraineté. Peu appartiennent à la catégorie des alleux souverains, totalement indépendants de la Couronne, exception faite de la souveraineté de Bidache, de l’alleu d’Yvetot en Normandie et de celui de Boisbelle-Henrichemont, en Berry, qui resta aux Sully jusqu’en 1766.

Les princes étrangers ne conservent que peu d’enclaves dans le royaume: Avignon au Saint-Siège, la principauté d’Orange, le duché de Nevers et la principauté de Charleville aux Gonzague, la principauté de Sedan à la famille de La Tour d’Auvergne et celle de Dombes aux Bourbon-Montpensier qui ne sera réunie qu’en 1762 par échange entre le roi et le comte d’Eu.

La politique des portes et passages

À la même époque, sous les quatre règnes de Charles VIII, Louis XII, François Ier et Henri II, la politique extérieure est largement déterminée par les ambitions italiennes des souverains français. Leurs efforts dans la péninsule n’aboutissent pourtant qu’à des occupations temporaires.

Les ambitions italiennes

Charles VIII se prévalait des droits sur le royaume de Naples qu’il avait hérités de la maison d’Anjou. Louis XII y ajouta ceux qu’il tenait de sa bisaïeule Valentine Visconti sur le comté d’Asti et le duché de Milan. En soixante ans, les rois de France conquièrent et perdent quatre fois les États de Naples, six fois le duché de Milan, une fois le Piémont, pour n’en rien conserver. On a souvent fait observer qu’il aurait mieux valu consolider la frontière du nord-est qu’effectuer ces descentes, sans cesse recommencées, vers la péninsule italienne. Un tel raisonnement fait fi de l’état des esprits en France au début du XVIe siècle. L’attrait des richesses, la culture et le renom des villes et des cours italiennes, le désir de posséder des bases de départ pour une éventuelle croisade contre l’Empire ottoman, l’existence d’une noblesse française inemployée après la fin des guerres anglaises, tout cela poussait à étendre outre-monts la mouvance française, comme les appels lancés au roi de France par des princes italiens désireux d’affermir leur politique, un Ludovic le More, ou un Octave Farnèse.

Mais si l’on ne considère que l’accroissement territorial du royaume, ces guerres n’aboutissent qu’à l’occupation temporaire des États italiens et savoyards. En effet, l’objectif des souverains n’est pas de réaliser l’unité territoriale, l’unité nationale. Ils sont beaucoup plus préoccupés, comme la majeure partie des contemporains, par l’acquisition des portes et passages qui permettent de communiquer avec les princes alliés de l’Italie ou du Saint Empire, et par là de menacer en permanence les intérêts des Habsbourg. Des études et des guides ont familiarisé avec la situation et l’importance des routes transalpines, comme La Totale et Vraie Description de tous les passaiges [...] par lesquels on peut passer et entrer des Gaules ès Ytalie de Jacques Signot, parue en 1515. En 1559, Henri II abandonne, certes, ses prétentions sur l’Italie, mais il conserve des points d’appui sur le versant oriental des Alpes, le marquisat de Saluces, sur la vallée supérieure du Pô, les forteresses de Pignerol et Chieri, Savillan et Turin.

Cette dernière ville est restituée au duc de Savoie en 1562. Henri III, rentrant de son voyage polonais, rend Pignerol et Savillan (1574), mais la présence française persiste outre-monts jusqu’en 1588, date à laquelle Charles-Emmanuel, profitant des troubles intérieurs de la France, met la main sur le marquisat de Saluces.

La notion stratégique de frontière offensive se combinait avec l’antique idée de mouvance. Ainsi pour le marquisat de Saluces. Il relevait, dès la fin du XIIIe siècle, du Dauphiné de Viennois et du roi de France, héritier des dauphins à partir de l’avènement de Charles V. Une adresse du parlement de Grenoble à Charles VIII, en 1485, le présente comme «la plus belle rose qui soit en notre noble seigneurie de Dauphiné, et vous peult venir grans biens et honeur d’avoir un tel et si noble vassal». Mais le fief a d’autres avantages; il procure «l’entrée ès Ytalies et passerez par votre païs sans emprunter passaige d’autruy jusques ès limites de la duchée de Milan et de Gênes. Et pourrez par ce moyen acquérir et faire de grans choses et actes glorieux comme vos prédécesseurs ont fait.»

L’annexion du Calaisis et des Trois-Évêchés

Assez paradoxalement, ce ne fut pas vers le sud-est, où les efforts des Français s’étaient fait le plus sentir, que l’extension territoriale fut la plus importante et la plus durable, mais sur les frontières septentrionales et orientales du royaume.

Pourtant, les premiers événements du siècle n’avaient guère été favorables à la monarchie française dans ces régions. Après Pavie et la captivité de François Ier (févr. 1525), Charles Quint voulait reconstituer à son profit les anciennes possessions de ses aïeux bourguignons, le duché de Bourgogne avec les comtés d’Auxerre et de Mâcon et les villes de la Somme. Le connétable de Bourbon aurait constitué un État indépendant au centre du royaume, auquel il aurait adjoint la Provence. Au traité de Cambrai, en août 1529, les tentatives de démembrement échouèrent, mais le roi de France dut céder au nord le Tournésis et le bailliage de Hesdin, et surtout abandonner sa suzeraineté sur la Flandre et l’Artois, qui, en possession de Charles Quint, relevaient pourtant de la France depuis le IXe siècle. La frontière entre les Pays-Bas espagnols et la France n’était qu’à 150 km de Paris. Il conservait en revanche le duché de Bourgogne, les comtés d’Auxerre et de Mâcon, la seigneurie de Bar-sur-Seine et les villes de la Somme.

La défense du royaume était assurée sur la frontière par des obstacles naturels (marais des vallées de la Somme et de la Saône, forêts d’Arrouaise entre l’Escaut supérieur et la Meuse ardennaise, forêt d’Argonne protégeant la Champagne) ou des places fortes: Péronne, Amiens, Rocroi, Langres, dont les sièges firent partie de toutes les guerres de l’époque.

Dans le nord du royaume, Boulogne était occupée par les troupes anglaises de Henri VIII depuis 1544. En 1549, profitant des troubles que connaissait l’Angleterre d’Édouard VI, Henri II reprit le Boulonnais, et, l’année suivante, moyennant 400 000 écus d’or, la souveraineté française y fut reconnue par l’Angleterre.

Une place voisine, Calais, était anglaise depuis 1347. Elle fut libérée en 1558. La trêve de Vaucelles, conclue pour cinq ans en 1556 entre Charles Quint et Henri II, ne dura que cinq mois. Les Anglais étaient alliés aux Espagnols qui venaient de vaincre à Saint-Quentin le connétable de Montmorency (août 1557). Mais la résistance de la ville permit au duc de Guise de revenir d’Italie. Il se porta contre Calais en janvier 1558 et emporta la citadelle après un siège de huit jours. Le Calaisis libéré allait garder jusqu’en 1789 le nom de «Pays reconquis» (Calais, Dunkerque, Bergues). L’Angleterre avait perdu la dernière de ces voies d’accès qui, pendant la guerre de Cent Ans, lui avaient permis d’intervenir dans les affaires françaises.

Différente fut l’installation dans les Trois-Évêchés. Cette frontière de l’est était restée presque inchangée de 1301 à 1552, alors que s’étaient succédé les expéditions de Flandre et d’Italie. La région d’entre Meuse et Vosges n’attirait guère les souverains français. Il y avait là de vastes forêts et de nombreux étangs qui formaient des barrières naturelles. La Meuse ne faisait pas frontière, mais bien plutôt les zones boisées immédiatement à l’est du fleuve. Selon Gaston Zeller, les Français ne revendiquent pas les limites du Rhin, c’est Maximilien d’Autriche qui, pour dresser les princes d’Empire contre le souverain français, l’accuse de vouloir conquérir toute la rive gauche du Rhin. Ce qui est certain, c’est qu’en 1552, le Milanais reste la préoccupation majeure de la politique extérieure française. Un an plus tard, lorsque Henri II présente à l’empereur ses conditions de paix, il exige de récupérer Milan et le comté d’Asti, «son ancien patrimoine», avec les royaumes de Naples et de Sicile et la souveraineté sur la Flandre et l’Artois. Rien n’indique un intérêt particulier pour les confins lorrains. Il n’existait guère d’ailleurs comme précédent que celui d’Épinal, dont les habitants s’étaient donnés au roi de France de 1444 à 1463.

Après la défaite des coalisés protestants de l’Empire, battus à Mühlberg (1547) par Charles Quint, les princes de la ligue de Smalkade demandèrent l’aide de Henri II. Les traités de Chambord et de Friedberg (janv.-févr. 1552) scellèrent leur accord. La France consentirait une aide militaire et des subventions aux réformés allemands, qui, de leur côté, laisseraient le roi de France libre d’occuper Cambrai, Metz, Toul et Verdun. Il s’agit encore là de la politique des portes et passages destinée à faciliter moins une extension territoriale que l’entrée des armées sur le territoire de l’adversaire. Dans l’été de 1552, une promenade militaire – le voyage d’Austrasie – permit à Henri II de conduire une armée jusqu’au Rhin et d’établir au passage une garnison dans les Trois-Évêchés.

Le statut des trois villes n’était pas identique. Metz était ville libre immédiate d’Empire, alors que Toul et Verdun restaient encore sous le contrôle de leurs évêques. Ce qui aurait pu n’être qu’une occupation temporaire sans plus de lendemain que la présence française dans certaines places des Alpes fut transformé par le siège de Metz. Charles Quint vint avec 60 000 hommes reprendre la ville, mais la résistance fameuse de François de Guise pendant deux mois obligea l’empereur à se retirer. La gloire de la défense et les efforts faits par le roi pour garder la ville empêchèrent qu’on se désintéressât des Trois-Évêchés.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’assimilation de Metz se fait lentement. Les Messins, réputés régnicoles en 1559, disposent en fait d’un statut spécial. Ils ne paient plus d’impôts à l’Empire, ne portent plus leurs causes en appel devant les tribunaux impériaux. Ils peuvent rester neutres en cas de conflit, n’envoient de députés ni aux diètes d’Empire, ni aux états généraux de France. Les Messins se disent «très humbles serviteurs» du roi de France, mais non «serviteurs et sujets», et la ville bat monnaie. Metz est sous la protection du roi, non dans son obéissance.

Il faut attendre le règne de Louis XIII pour passer de la protection à la souveraineté. Un parlement et une intendance sont alors créés dans les évêchés. Le sceau des villes impériales est retiré à Metz en 1633 et des impôts français comme la gabelle sont introduits.

À l’avènement de Louis XIV, les Messins sont devenus de «bons et fidèles sujets», c’est-à-dire qu’ils sont peu différents des autres habitants du royaume. Sans doute ont-ils des privilèges, mais quel corps, quelle ville ou quelle province n’en a pas en France à la même époque?

Au traité de Cateau-Cambrésis (1559), l’empereur ne participant pas aux négociations, la présence française dans les Trois-Évêchés n’est pas officiellement reconnue. Ce n’est qu’au traité de Münster (traités de Westphalie), en 1648, que l’empereur abandonne au roi de France Metz, Toul et Verdun.

Pour ces places de l’est comme pour celles de la plaine du Pô, ce n’est jamais le désir d’augmenter la surface du royaume qui conduit les gouvernements à agir, mais plutôt les nécessités de la guerre. On occupe des points d’appui pour en priver l’adversaire. Si l’on crée un parlement à Metz, c’est pour limiter les droits du duc de Lorraine, non par esprit d’unification, et l’impôt est introduit, avant toute chose, pour payer les troupes. On n’utilise même pas, au XVIe siècle, pour justifier le rattachement d’un territoire, la communauté de langue. Cet argument n’apparaît qu’en 1602, lors du rattachement au royaume de la Bresse et du Bugey. Henri IV déclare alors à ses nouveaux sujets: «Il était raisonnable que puisque vous parlez naturellement le françois, vous fussiez sujets du roi de France. Je veux bien que la langue espagnole demeure à l’Espagne, l’allemand à l’Allemagne, mais la françoise doit estre à moy.»

Les menaces contre l’unité du royaume

À plusieurs reprises, au XVIe siècle, on put craindre de voir sombrer l’unité du royaume. Une première fois, après le désastre de Pavie et la captivité de François Ier, les états généraux purent éviter un démembrement en refusant le traité de Madrid de 1526 et en annulant les engagements pris par le roi de France.

Au temps des guerres religieuses, dans la seconde moitié du siècle, les dangers furent peut-être encore plus grands. Pour obtenir l’aide de l’étranger, les deux partis, protestant et ligueur, furent obligés de faire des promesses qui, si elles s’étaient réalisées, auraient compromis l’unité et l’indépendance du pays. En 1562, les réformés livraient le port du Havre à Élisabeth d’Angleterre avec l’engagement de lui restituer Calais, alors que, trente ans plus tard, Philippe II essaiera de convaincre les catholiques ligueurs d’accepter une infante espagnole pour succéder à Henri III.

À l’intérieur du royaume, les divers traités de pacification accordent aux protestants des places de sûreté, l’autorisation d’y entretenir des troupes, des institutions permanentes qui font des réformés un corps ayant un statut spécial dans l’État. Les chefs catholiques se comportent de même manière. Les grandes maisons s’attribuent des pouvoirs considérables dans certaines régions. Ainsi les Condé en Picardie et en Champagne, les Guise en Bourgogne, les Montmorency en Languedoc, le duc de Mercœur en Bretagne. Lorsqu’ils négocient avec Henri IV en 1592, les princes ligueurs exigent l’hérédité des gouvernements provinciaux. Henri IV réussira à écarter cette menace de démembrement en achetant la fidélité des ligueurs par de l’argent ou par la concession de villes et de places fortes moins dommageable pour la monarchie que l’abandon des gouvernements.

2. Le problème des frontières naturelles

Le règne de Louis XIII connaît quelques agrandissements du royaume, mais ils ne modifient pas considérablement la carte des mouvances françaises. Depuis l’avènement de Louis XIII, le comté d’Auvergne est réuni à la Couronne. En 1632, le duc de Lorraine est contraint d’abandonner Marsal au roi; dix ans plus tard, Louis XIII confisque les principautés de Sedan et de Raucourt après la participation du duc de Bouillon au complot de Cinq-Mars. Enfin, les armées françaises ont temporairement occupé la Savoie et le Piémont (1628-1631) et la Franche-Comté (1635-1638).

Poursuivant la politique des «passages», Richelieu a repris Pignerol et Perosa en 1631.

Richelieu et Louis XIV

La thèse d’une action délibérée des souverains et des hommes d’État d’Ancien Régime pour donner à la France des frontières naturelles a été accréditée par nombre d’historiens: Augustin Thierry, Henry Martin, Victor Duruy, Albert Sorel.

Il apparaît bien aujourd’hui qu’on a voulu indûment marquer une continuité entre la politique extérieure de l’Ancien Régime et celle de la Révolution. Danton, dans un célèbre discours à la Convention du 31 janvier 1793 affirme: «C’est en vain qu’on veut nous faire craindre de donner trop d’étendue à la République. Ses limites sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes des quatre coins de l’horizon, du côté du Rhin, du côté de l’Océan, du côté des Pyrénées, du côté des Alpes. Là sont les bornes de la France; nulle puissance humaine ne pourra nous empêcher de les atteindre, aucun pouvoir ne pourra nous engager à les franchir.»

Rien de tel n’existe dans la pensée des Français du XVIIe siècle. L’idée d’une extension nécessaire jusqu’au Rhin n’apparaît que pour justifier la possession ou la recherche d’un droit local, et encore est-elle très peu fréquente.

La conception du territoire national comme un tout uniforme et comme un pré carré n’est pas encore très nette, mais le roi de France a aussi d’autres ambitions. Louis XIV, comme François Ier, a désiré ceindre la couronne impériale. Ce projet rendait moins urgente l’acquisition de la Lorraine et de l’Alsace tout entière. Il rendait par contre nécessaire la possession de passages vers les terres des princes du Saint Empire, clients de la France.

Le Rhin est d’ailleurs un faible moyen de défense. Il faut, pour s’en bien servir, tenir les deux rives; c’est la raison pour laquelle les Français occupent Philippsbourg et Brisach en 1634 et 1639, Fribourg en 1679, Kehl en 1681-1687.

Au début de son ministère, Richelieu s’intéresse beaucoup plus à l’Italie, ce «cœur du monde», où se rencontrent les intérêts français et habsbourgeois. Seules l’importance grandissante des événements dans l’Empire, l’alliance suédoise de 1631 et la guerre ouverte en 1635 l’inciteront à agir «dans l’Alsace et le long du Rhin». Pour le cardinal, la politique française doit avant tout assurer la protection des princes voisins contre les entreprises de domination de l’Espagne et garantir ainsi la grandeur du roi de France.

L’occupation de Brisach permet de s’interposer entre les forces espagnoles de l’Italie et des Pays-Bas ou d’intervenir en Allemagne du Sud. Richelieu obtient de même de mettre ses troupes dans Linz chez l’électeur de Cologne, à Ehrenbreitstein sur les terres de l’électeur de Trèves, à Philippsbourg sur celles de l’évêque de Spire.

En 1632, la reprise de Pignerol abandonné depuis plus d’un demi-siècle est accueillie comme un événement de première importance, et les vues de Richelieu ne sont pas radicalement différentes de celles du siècle passé. Dans son Avis au Roi de 1629, le cardinal écrit: «Il faut avoir en dessein perpétuel d’arrêter le cours des progrès d’Espagne.» Le moyen, c’est de «bastir et s’ouvrir des portes pour entrer dans tous les estats de ses voisins et les pouvoir garantir des oppressions d’Espagne». Mais la protection ne se changera-t-elle pas en annexion? D’autres textes ne laissent aucun doute sur la valeur universelle, dans l’esprit de Richelieu, de cette politique des passages et des protections: «Ainsy que Pignerol est nécessaire au Roy comme une porte pour le secours de l’Italie, ainsy il est important que Sa Majesté ne soit pas séparée de l’Allemagne affin qu’Elle soit en estat de ne souffrir pas les oppressions qu’on pourroit faire à divers princes qui y possèdent des Estats.»

Pour l’historien allemand Hermann Weber, Richelieu a donc recherché non pas une expansion territoriale jusqu’au Rhin, mais l’établissement d’une zone d’influence garantie par la présence de garnisons françaises en quelques places fortes avancées. Cela n’exclut pas que certains de ses agents eurent d’autres ambitions. Bussy-Lameth, gouverneur à Trèves, écrit en 1633: «Nous rétablirons la langue française [en Allemagne] et, si Dieu plaît, l’Empire dans la maison de nos rois.» Mais il n’exprimait pas là l’opinion de la Cour, ni celle du ministre.

Le corollaire à ce désir français d’acquérir des passages et des places fortes est qu’il faut empêcher l’adversaire de faire de même. Richelieu s’y est employé. Dans la politique internationale des débuts du XVIIe siècle, la vallée de la Valteline, la haute vallée de l’Adda, appartenant aux Grisons suisses, a joué un rôle capital. Elle était convoitée par les Espagnols pour faire communiquer leur possession du Milanais avec le Tyrol, par conséquent avec les domaines de leur allié l’empereur. Richelieu n’hésita pas en 1625 à faire occuper la Valteline, et l’on finit par traiter l’année suivante: la Valteline resta aux Grisons et les Espagnols durent renoncer à cette voie de communication.

Louis XIV ne pensera pas autrement. Dans ses Mémoires de 1662, pensant conserver la Lorraine à la France, ce n’est pas l’acquisition d’une province qui l’enchante, mais d’avoir procuré «un passage à [ses] troupes, pour l’Allemagne, pour l’Alsace, et pour quelqu’autre pays qui [lui] appartenait déjà». De même pour la conquête de la Franche-Comté en 1674: «M’ouvrant un nouveau passage en Allemagne, je le fermois en même temps à mes ennemis» (cité par Gaston Zeller).

Il n’y eut donc point de recherche rigoureuse des frontières naturelles au XVIIe siècle, mais la poursuite de ce qui, au XVIe siècle, avait formé les constantes de la politique étrangère française. La frontière reste une réalité vivante, avant tout un front, et ce n’est que lentement qu’apparaît l’idée d’une frontière linéaire tranchant entre les États. En 1659, le traité des Pyrénées fait certes coïncider les limites de France et d’Espagne avec «la crête des montagnes qui forment les versants des eaux», mais sans supprimer les droits de «lies et passeries» qui permettent aux communautés paysannes de jouir de coutumes de pacages sur les terres du pays voisin de l’autre côté de la frontière.

Le renforcement de l’unité du royaume

La France des XVIe et XVIIe siècles est un ensemble fort disparate. Les pays d’états sont jaloux de privilèges que n’ont pas ou n’ont plus les pays d’élections (représentation des trois ordres, consentement à l’impôt). Les coutumes comme les langues varient de province à province. Chaque ville a des libertés, c’est-à-dire des privilèges, qu’elle entend bien défendre, et les genres de vie ont peu de ressemblances entre la Provence et la Bretagne, entre la Bourgogne et la Normandie.

L’édit de Nantes (1598) assure aux protestants des avantages considérables dans le royaume: places de sûreté, droit de réunion, droit de représentation auprès du souverain. Mais le royaume tout entier est constitué de corps et de compagnies possédant également des privilèges qui, sans atteindre ceux des réformés, font cependant que le roi agit le plus souvent par leur entremise.

Plus grave sans doute est la persistance, à côté d’une doctrine de la monarchie absolue qui prend de l’ampleur dans le monde des officiers de justice, d’une conception ancienne du gouvernement suivant laquelle les princes du sang doivent participer aux décisions engageant l’État. Cela apparaît nettement dans les troubles de 1614-1615 et dans ceux de la Fronde. Deux conceptions politiques s’affrontent; le danger est d’autant plus grave pour le pouvoir royal et l’unité nationale que ces princes accaparent au début du XVIIe siècle, comme au XVIe, le gouvernement d’une partie des provinces françaises. Ils n’hésitent pas à conclure des traités avec les puissances ennemies de la France, à provoquer des révoltes populaires, quitte à se réfugier en Espagne ou aux Pays-Bas, si leurs entreprises échouent. Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, ou le prince de Condé agissent de cette manière.

Si les révoltes populaires sont très fréquentes au XVIIe siècle, il est vrai que fort peu sont ouvertement dirigées contre la personne royale, et rares celles où l’on peut déceler une alliance certaine avec l’étranger. L’émeute dijonnaise du Lanturlu (1630), où l’on brûle un portrait du roi en acclamant l’empereur, et la révolte des Bonnets rouges en Bretagne (1675), où l’on fait appel aux Hollandais, restent des cas singuliers. Cependant, en de nombreuses occasions, une soumission à la personne du souverain s’accompagne de mépris et d’hostilité envers ses ministres et, lorsque ces derniers sont défenseurs de la monarchie absolue, cet appel au roi par-dessus la tête des «mauvais conseillers» est une efficace limitation de la puissance royale et de l’unité du royaume.

Cette unité est très largement assurée par un encadrement d’officiers, c’est-à-dire par tous ceux qui ont une «dignité avec puissance publique». Depuis 1604 (édit de la Paulette), ils ont pratiquement l’hérédité de leurs charges. Les officiers de justice et finance participent de la puissance royale et, dans le mode de gouvernement par voie de justice qui prévaut encore au XVIIe siècle, ils contribuent à assurer l’unité du pays. Les officiers du roi cherchent à amoindrir les pouvoirs des justices seigneuriales. On installe à côté des grands fiefs des «juges d’appeaux» pour attirer les causes des justiciables, et, par le moyen des évocations, le Conseil du roi devient le suprême arbitre des différends entre tous les sujets. La coutume de Paris, par-delà la diversité des coutumes locales, tend à devenir un «droit commun coutumier» français, donc à renforcer l’unité nationale.

Une nouvelle étape vers l’unité allait être franchie avec la multiplication des intendants de justice, police et finance, choisis pour la plupart dans le corps des maîtres des requêtes. Leur installation dans les provinces est souvent provoquée par une fiscalité de guerre. Les besoins toujours grandissants d’argent conduisent le gouvernement à augmenter tailles et gabelles, et à affermer l’impôt à des traitants et partisans fort impopulaires auprès des populations. Pour percevoir l’impôt et protéger les partisans, la monarchie a recours non plus à des officiers, mais à des commissaires, toujours révocables, à la différence des premiers.

Les intendants sont indispensables dans les régions frontières et les terres occupées par les troupes françaises où le sentiment national n’est pas encore affermi. Ils doivent sévir contre les pillages des soldats, les trahisons des Français qui passent à l’ennemi, les faiblesses des gentilshommes qui, pour éviter que l’Espagnol ne mette à mal leurs seigneuries, demandent des sauvegardes à l’adversaire. Quelques villes de la Somme, en 1636, «l’année de Corbie», ouvrent leurs portes à l’ennemi pour protéger leurs biens. Les intendants doivent veiller, dans l’intérieur du royaume, à réprimer les révoltes populaires.

Les privilèges des provinces subissent plusieurs atteintes qui renforcent l’uniformité dans l’obéissance au prince: la Normandie (après 1659), le Périgord, l’Auvergne, le Rouergue, la Guyenne, le Dauphiné perdent leurs états provinciaux au XVIIe siècle. Comme en Bourgogne, on cherche à introduire dans les pays d’états, qui ont le droit de consentir et de répartir l’impôt, l’administration financière des «élections», la gestion de l’impôt appartenant désormais à des officiers, et non plus à des représentants des trois ordres (clergé, noblesse, députés des communautés du tiers état).

Les agrandissements territoriaux au Grand Siècle

Le traité de Münster (oct. 1648), dans le cadre des accords de Westphalie, mit fin à la guerre entre le roi de France et l’empereur, qui durait depuis 1636. L’empereur reconnaissait l’occupation française des TroisÉvêchés; il abandonnait en Alsace le landgraviat de Haute et Basse-Alsace, le Sundgau moins Mulhouse, la préfecture de dix villes impériales (Colmar, Haguenau, Obernai, Sélestat...), Strasbourg demeurait ville libre d’Empire. La Lorraine était donc comme encerclée par les possessions françaises. Avec les forteresses de Landau et Wissembourg, et de Philippsbourg et Brisach sur la rive droite du Rhin, c’est la politique des passages vers le Saint Empire qui est poursuivie. D’autant plus que le roi de France a évité que les liens de ses nouvelles terres alsaciennes avec l’Empire ne fussent rompus, pour pouvoir un jour intervenir plus efficacement dans les affaires d’Allemagne.

Depuis 1634, les Français tenaient la Lorraine dont le duc Charles était allié du roi d’Espagne; depuis 1640, une partie de l’Artois avec Arras, tandis que le Roussillon était occupé en 1642. À la paix des Pyrénées qui, en 1659, mit un terme à la guerre avec l’Espagne, Mazarin réussit à conserver le Roussillon, l’Artois moins la châtellenie d’Aire et de Saint-Omer, certaines places du Hainaut comme Landrecies et Le Quesnoy, Thionville et Montmédy en Luxembourg. La Lorraine fut rendue à son duc, mais avec le droit pour la France d’y utiliser une route militaire vers l’Alsace.

À la fin de la guerre de Dévolution (1667-1668), le traité d’Aix-la-Chapelle permit de compléter le lot des places fortes de la frontière du nord. Bergues et Furnes servirent à couvrir Dunkerque. Armentières, Lille, Douai, Tournai, Ath, Charleroi ouvraient de nouvelles voies d’invasion chez l’ennemi.

Lors des traités de Nimègue (août-sept. 1678) avec la Hollande et l’Espagne, qui mettaient fin à la guerre de Hollande, de multiples échanges facilitèrent la régularisation de la frontière du nord. La France abandonna Ath, Audenarde, Charleroi, mais obtint ce que l’Espagne avait gardé de l’Artois: les régions d’Aire-sur-la-Lys et de Saint-Omer. Les Français s’installèrent à Cassel, Cambrai, Valenciennes, Maubeuge.

Le traité de Ryswick, à l’issue de la guerre de la ligue d’Augsbourg (1686-1697), ne modifie pas considérablement le tracé des frontières. La France restitua des conquêtes faites dans le Nord au-delà du tracé de 1678 (Charleroi, Courtrai). Elle dut abandonner à l’Empire des places de la rive droite du Rhin: Brisach, Kehl, Philippsbourg, Fribourg-en-Brisgau. Par un traité séparé, le duc de Savoie récupéra ses États occupés par les forces françaises et rentra en possession de Pignerol.

Si la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714) fut, à bien des titres, capitale pour le rapport des forces en Europe et la constitution des empires coloniaux, elle eut assez peu de conséquences sur la carte du royaume. Louis XIV dut consentir à combler le port de Dunkerque, il abandonna ses droits sur Tournai, Ypres, Furnes, mais reprit aux Hollandais Lille, Aire et Béthune. Avec le duc de Savoie, on procéda à des échanges. La vallée de Barcelonnette, sur le versant occidental des Alpes, passa à la France contre la vallée de Bardonnèche, les forts de Fenestrelles et d’Exilles (avr. 1713). Le traité de Rastadt avec l’empereur renouvela à la France la possession de l’Alsace, y compris cette fois Strasbourg et Landau (mars 1714). Le reste des accords intéresse surtout l’Italie et le Saint Empire.

Louis XIV, pour agrandir le royaume, continua comme par le passé à employer toutes les ressources du droit féodal, à utiliser la théorie des mouvances et des dépendances, les possessions d’un prince résultant de l’accumultation des droits et des titres de propriété. Une telle politique explique le tracé fort sinueux des frontières. Les enclaves sont multiples, enclaves des princes étrangers parmi les terres françaises et places fortes du roi de France très en avant des limites du royaume. Souvent, il y a affrontement entre les droits des puissances, chacune se fondant sur des documents différents ou sur l’imprécision des textes. Les forteresses intéressent plus que le «plat pays». La guerre de sièges revêt une grande importance. La cour de Louis XIV se déplace pour assister aux opérations de Flandre. Reddition des villes, remises des clefs, Te Deum, prestations de serment par les échevinages, confirmations de privilèges urbains sont les épisodes obligatoires de toutes les campagnes.

La guerre de Dévolution illustre le parti tiré des traités anciens pour justifier les conquêtes nouvelles. Lors de son mariage avec Louis XIV, en 1660, Marie-Thérèse, fille de Philippe IV d’Espagne, avait renoncé à ses droits sur la couronne d’Espagne, moyennant le paiement d’une dot de 500 000 écus d’or à son futur époux. La dot ne fut jamais payée. En mai 1667, l’archevêque d’Embrun présenta à la cour de Madrid le Traité des droits de la Reine Très Chrétienne sur divers États de la monarchie d’Espagne et les troupes françaises entrèrent aussitôt en campagne sans déclaration de guerre. Ce Traité utilisait le droit de dévolution pour justifier l’ouverture du conflit. Les juristes français invoquaient une coutume du Brabant, aux termes de laquelle une fille du premier lit pouvait recevoir à la mort du père ou de la mère tous les fiefs qui appartenaient au survivant des deux conjoints. Louis XIV réclama pour son épouse, fille aînée d’un premier mariage de Philippe IV, le Brabant avec ses dépendances, le comté d’Artois, Cambrai, le Hainaut, le tiers de la Franche-Comté et le quart du duché de Luxembourg.

Les juristes espagnols réfutèrent les thèses du roi de France. Selon le meilleur d’entre eux, Lisola, dans son Bouclier d’estat et de justice (1667), ce droit de dévolution n’était qu’une coutume de droit privé étrangère aux relations entre les États, en usage seulement au Brabant et non dans tous les territoires revendiqués par la France. Les Espagnols dénonçaient chez Louis XIV «un dessein manifestement découvert de la monarchie universelle».

La politique dite des « réunions » procède en 1680-1681 de la même méthode. Peu importe qu’elle ait été conçue par Louvois ou par Colbert de Croissy, elle avait comme fin de compléter la ceinture de places fortes élaborées par Vauban. Louis XIV revendiqua tous les territoires qui avaient, même très momentanément, dépendu de la France depuis les traités de Westphalie. Des chambres de réunion furent installées à Besançon, Brisach, Metz et Tournai. En pleine paix, elles prononcèrent des annexions aussitôt réalisées. Courtrai, Sarrelouis, Nancy, Sarreguemines, Lunéville, Commercy furent rattachés au royaume. Des fiefs appartenant à l’électeur de Trèves, au marquis de Bade, au duc des Deux-Ponts passèrent dans la mouvance du roi de France par dizaines. Le parlement de Besançon réunit le comté de Montbéliard, les seigneuries de Ruaux, Val-d’Ajol, Fontenay-le-Châtel. Le comté de Vaudémont en Lorraine, avec les châtellenies de Pont-à-Mousson, Saint-Mihiel et Foug, fut annexé de la même façon.

En août 1680, ce furent les réunions de Strasbourg et de son évêché, des biens de la noblesse immédiate d’Alsace et de l’abbaye de Murbach. Strasbourg fut occupée en septembre 1681. Il ne restait plus de libre en Alsace que la ville de Mulhouse, alliée des cantons suisses depuis 1515. La ligue d’Augsbourg et une nouvelle guerre devaient naître de ce que les puissances considéraient comme une violation du droit international. Les opérations menées par la France en 1684 contre la Flandre espagnole et le Luxembourg pour contraindre Charles II d’Espagne à abandonner des terres réclamées par Louis XIV furent déjà une préfiguration de ce conflit. Une médiation hollandaise rétablit momentanément la paix et aboutit, en août 1684, à la trève de Ratisbonne entre la France, l’Espagne et l’empereur: les réunions déjà faites étaient acceptées, mais elles ne pourraient se poursuivre à l’avenir.

3. L’évolution de la notion de frontière au XVIIIe siècle

Ralentissement de l’expansion territoriale

Si la France est engagée dans beaucoup de conflits au XVIIIe siècle, cela n’entraîne guère de modifications territoriales. Trois provinces, pourtant, sont réunies au royaume: la Lorraine, la Corse et les Dombes.

Les gouvernements français n’ont pas poursuivi un système prémédité d’expansion en Europe, alors que la volonté de développer l’empire colonial s’est nettement affirmée; certains historiens ont dénoncé une «ère d’abandon et de refus», et beaucoup de contemporains n’ont pas compris les refus successifs opposés par Louis XV aux offres qui lui étaient faites de s’emparer des Pays-Bas autrichiens. Ainsi, au début de la guerre de la Succession d’Autriche (1741), Marie-Thérèse proposa à Fleury d’abandonner les Pays-Bas contre le maintien de la neutralité française; sous l’influence du parti de la guerre dirigé à Versailles par le maréchal de Belle-Isle, cette négociation fut repoussée et la France prit la tête de la coalition anti-autrichienne. À la fin du conflit, en 1748, alors que les troupes françaises occupent Bruxelles et que l’Angleterre et la Hollande l’auraient sans doute permis, Louis XV renonce à conserver les Pays-Bas, moyennant l’évacuation par les Anglais des forteresses dont ils s’étaient emparés à l’embouchure du Saint-Laurent. Ni le maréchal de Saxe, qui conseillait l’annexion, ni l’opinion publique française ne purent convaincre le roi de France. Plus tard, lorsque le chancelier Kaunitz proposera de céder à la France les Pays-Bas autrichiens en échange d’une participation à la guerre contre les Turcs, Versailles ne saura pas profiter de l’occasion.

Les ministres français n’ont plus comme principal souci d’ajouter des provinces au domaine royal. Le marquis d’Argenson, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1744 à 1747, écrit: «Ce n’est plus le temps des conquêtes. La France [...] a de quoi se contenter de sa grandeur et de son arrondissement. Il est temps enfin de commencer de gouverner après s’être tant occupé d’acquérir de quoi gouverner.» Et Vergennes, dans un mémoire de 1777, ne pense pas autrement: «La France, constituée comme elle est, doit craindre les agrandissements bien plus que de les ambitionner.»

Autre trait caractéristique de la politique internationale au XVIIIe siècle et des rapports entre les hommes et les souverains, l’époque connaît l’affaiblissement de la notion de «prince naturel». Les hommes des siècles précédents en Europe occidentale croyaient que le souverain devait avoir un rapport étroit avec son État, un lien personnel conféré par l’appartenance à une famille anciennement possessionnée dans cet État, avec une communauté de langue et de tradition, la famille du souverain ayant forgé l’histoire du pays pendant des générations. Le monarque n’avait alors guère de peine à être reconnu comme le meilleur symbole de son État. Au XVIIIe siècle, la politique des «trocs» ne tient plus compte de cette ancienne réalité. Les grandes puissances attribuent les petits États européens à des princes souvent totalement étrangers aux trônes qu’ils reçoivent, au hasard des conférences et de l’équilibre des alliances.

Lorraine, Corse et Dombes

La France allait devoir la réunion de la Lorraine à des pratiques de ce genre. Au siècle précédent, les armées françaises avaient occupé le duché de 1634 à 1659 et de 1670 à 1697. Le roi de France y avait obtenu le passage de ses troupes vers l’Alsace et la politique des réunions avait commencé à entamer les terres lorraines. Une intendance et un parlement dans les Trois-Évêchés veillaient à conserver et au besoin à étendre les droits du roi dans cette région. Le duc Léopold (1690-1729) avait déjà songé à quitter la Lorraine pour le Mantouan en Italie, mais son entreprise avait échoué.

En 1733, à la mort du roi de Pologne Auguste II, deux candidats se disputèrent la couronne élective: Auguste III de Saxe, fils du souverain défunt, et Stanislas Leszczy ski, l’ancien protégé de Charles XII de Suède, déjà élu en 1704, mais chassé de son royaume après les échecs suédois. Devenu entre-temps le beau-père de Louis XV, Stanislas fut élu en septembre 1733. Mais les interventions russe et autrichienne donnèrent finalement le pouvoir à Auguste III et Stanislas Leszczy ski s’enfuit de Pologne. Une guerre franco-autrichienne s’ensuivit de 1733 à 1735. Les succès français et espagnol obligèrent Charles VI à la paix de Vienne (1738).

La France obtint que le duc de Lorraine François III, époux de Marie-Thérèse, fille et héritière de l’empereur Charles VI, échangeât son État contre le grand-duché de Toscane où venait de mourir le dernier des Médicis, le grand-duc Jean-Gaston. La Lorraine fut donnée, avec le Barrois, à Stanislas Leszczy ski. Mais ce dernier s’était engagé en septembre 1736, par la convention de Meudon, contre le paiement d’une pension annuelle de deux millions de livres, à laisser la direction des affaires à un intendant français. Les impôts indirects furent perçus par la Ferme générale comme dans le royaume de France. À la mort du roi de Pologne, en février 1766, la Lorraine se trouva réunie à la Couronne.

La Corse était sous la souveraineté, fort contestée par les habitants, de la république de Gênes. L’Angleterre, après avoir acquis Gibraltar et Minorque, souhaitait s’installer dans l’île, ce qui lui aurait assuré le contrôle de la Méditerranée occidentale. Elle pouvait profiter des révoltes endémiques de la population corse contre les Génois. La France avait déjà occupé l’île en partie en 1396-1406, 1499-1511, 1527-1529, 1553-1556. Les troupes françaises avaient débarqué pour en chasser l’aventurier Theodor Neuhoff. Elles y laissèrent des garnisons en 1764. Pascal Paoli avait soulevé une fraction de la population contre Génois et Français. Devant l’impossibilité de réduire la révolte, Gênes, au traité de Versailles (mai 1768), abandonna au roi de France ses droits sur la Corse. Un an plus tard, Paoli et ses partisans étaient battus. Un gouverneur et un conseil souverain, analogue à un parlement, commencèrent l’assimilation de la nouvelle province.

En mars 1762, la principauté de Dombes avait été réunie au royaume. Autour de Trévoux, elle comprenait deux cent vingt-cinq communautés. Au début du XVIe siècle, elle avait été dans la dépendance de la maison de Beaujeu, puis avait appartenu au connétable de Bourbon. De 1531 à 1561, les Dombes avaient été unies à la Couronne, plus tard le roi les avait rendues au neveu du connétable Louis de Bourbon, duc de Montpensier. Cette principauté souveraine était passée, au XVIIe siècle, au comte d’Eu, le second fils du duc du Maine, qui, en mars 1762, l’échangea contre le duché de Gisors en Normandie.

Régularisation et simplification des frontières

Outre ces acquisitions territoriales importantes, il y eut pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle de nombreuses négociations avec les pays voisins de la France pour régulariser et simplifier une frontière souvent tourmentée, marquée par ces enclaves héritées de la politique internationale des deux siècles passés. Ainsi, le comté sarrebrückois de Sarrewerden constituait une enclave impériale en France, comportant lui-même une sous-enclave française autour de Sarralbe. Il existait des régions indivises, de trop nombreux péages. Les échanges devaient permettre de simplifier l’administration et de réduire la fraude et la contrebande. Les objectifs militaires n’étaient pas non plus exclus, comme celui d’établir la frontière sur des fleuves et des rivières, la Sarre ou le Doubs. Des accords furent conclus avec les Pays-Bas autrichiens en 1769 et 1779, l’évêché de Liège (1772-1773), l’électorat de Trèves (1778), le comté de la Leyen (1781), le duché des Deux-Ponts (1766, 1786), le comté de Montbéliard-Wurtemberg (1786), l’évêché de Bâle (1780), les cantons de Berne et de Genève (1744, 1749), la Savoie (1760) et l’Espagne (1785).

La France abandonna des places avancées et isolées de la région de l’Escaut (Hérinne, Velvain) et de l’évêché de Liège (Matignolles), des prétentions dans le voisinage de l’abbaye de Saint-Hubert et dans la vallée de la Moselle. Mais, au nord de l’Alsace, Landau fut rattaché au royaume par réduction des enclaves palatines (Kleebourg, Seltz, Hagenbach). Le roi de France céda le bailliage de Schambourg qui s’étendait jusqu’au cœur du duché des Deux-Ponts. Le seul diverticule de quelque importance à être conservé fut la pointe de Givet qui permettait des communications avec l’évêché de Liège.

Avec la Savoie, le traité de 1760 laissa à la France Léaz et Chézery, et, dans le comté de Nice, la frontière fut fixée aux cours du Var, de l’Esteron et du Riolan.

En 1789, les enclaves étrangères dans le royaume n’étaient plus qu’au nombre de trois: Avignon et le Comtat, propriétés du Saint-Siège; la principauté de Montbéliard, relevant du duc de Wurtemberg; la république de Mulhouse. Leur indépendance avait été plusieurs fois menacée. Les possessions du Saint-Siège étaient occupées par les Français chaque fois qu’ils voulaient faire pression sur Rome (1663, 1688, 1768-1774). La chambre de réunion de Besançon avait prononcé l’annexion de la principauté de Montbéliard en 1681, mais le traité de Ryswick, en 1697, l’avait rendue à ses anciens seigneurs.

Il existait encore quelques terres qui, bien que dans la mouvance française, n’appartenaient pas au domaine royal, comme les duchés de Nevers et de Rethel qui appartenaient aux Mazarin, la principauté de Salm, le comté de Saarverden et le duché d’Albret. La Révolution allait supprimer ces dernières enclaves en les réunissant au territoire national.

4. L’assimilation des provinces conquises

Il s’en fallait de beaucoup que les pays rattachés au royaume accueillissent les Français comme les libérateurs d’une domination étrangère. Toutefois, le mécontentement fit assez vite place à la fidélité envers le roi de France.

Les réticences

Les Lorrains furent sans doute les plus attachés à leurs princes. La Lorraine était pratiquement indépendante, même si les ducs étaient princes du Saint Empire, et vassaux du roi pour certains de leurs fiefs. La guerre de Trente Ans y fut particulièrement cruelle et les troupes françaises s’y comportèrent de telle manière que la fidélité au duc Charles IV s’en trouva renforcée. Charles V, dont l’État fut occupé par la France de 1670 à 1697, fut l’un des meilleurs généraux de l’empereur. L’armée lorraine suivit son duc lorsqu’il se fit condottiere. Les habitants persistèrent longtemps dans leur hostilité aux occupants. Cela, d’ailleurs, n’exclut pas que des familles nobles aient pris l’habitude de servir dans les armées du roi de France. Ainsi les membres de la famille de Guise ont à la cour le rang de princes étrangers. Mais, après les vingt-cinq années de la seconde occupation, l’intendant Valbourg écrit des seigneurs du duché qu’ils «ont conservé leurs inclinations pour les princes lorrains».

Sur la frontière du nord, les populations que l’on arrache à l’Espagne témoignent de sentiments identiques. Catholiques, ils craignent un prince allié des protestants hollandais, allemands et suédois. Les bourgeois défendent avec acharnement leurs villes contre les Français. La défense de Valenciennes, en 1656, est si bien menée que Philippe IV anoblit les membres du Magistrat, et Richelieu dit des Arrageois qu’ils «sont tous ennemis jurés des Français et plus espagnols que les Castillans». À Dunkerque, en 1647, les capucins refusent de prêter le serment de fidélité au roi de France, et l’intendant de Chaulnes doit ordonner à tous les religieux de reconnaître des supérieurs français et de rompre avec les Flamands. L’attachement à la dynastie espagnole, héritière de Charles Quint – le seigneur «naturel» des Pays-Bas – et des princes bourguignons, est d’autant plus puissant que Madrid est fort loin et que l’on craint un joug français beaucoup plus lourd à supporter. Le Roi Catholique prêtait au début de son règne le serment de respecter les coutumes locales et intervenait peu dans l’administration des villes.

Après l’annexion, ces attitudes persistent. À Lille, quand les Français doivent abandonner Bourbourg, on organise une fête «pour balayer les ordures du pays». En 1668, lorsque les autorités françaises organisent une procession pour remercier du traité d’Aix-la-Chapelle, un Lillois écrit que c’est «une paix sans joie parce qu’on demeurait au roy de France». On expose le portrait de Charles II d’Espagne en 1674. On doit, en 1690, expulser un avocat qui déclare ouvertement qu’il voudrait «voir mort le dernier des Français». Partout circulent libelles et pamphlets. Pour le malheur des gouverneurs et des intendants français, la fin du XVIIe siècle est dans la région une période de crise économique et d’épidémies. Des ouvriers gagnent les Pays-Bas espagnols pour y travailler ou s’engager dans l’armée ennemie. Au moment de la guerre de Hollande, on craint une révolte des Lillois, car il y a peu de «bons sujets dans Lille». À Saint-Omer, il n’en est pas différemment et, lorsque les Français occupent la ville, refuge de tous les Artésiens favorables à l’Espagne, le maire se démet de ses fonctions.

En Franche-Comté, le roi d’Espagne est tout aussi populaire. Charles Quint s’est entouré de conseillers et de serviteurs comtois et bourguignons. La province a de grands privilèges. Elle s’administre elle-même et son gouverneur est un noble du pays. Pendant la guerre de Trente Ans, la Franche-Comté a été dévastée comme d’ailleurs la Bourgogne voisine. Le parlement de Dole a dirigé la résistance contre l’invasion française, et les malheurs de cette «guerre de Dix Ans» ont largement contribué à faire haïr les envahisseurs. Alors que la campagne de Condé à travers la province, en 1668, est relativement facile, celle qui donne le pays à la France en 1674 est beaucoup plus ardue. Besançon, Dole et Salins doivent être assiégés. Les curés des campagnes poussent les paysans à une véritable guérilla contre les Français. Les «loups des bois» attaquent les soldats isolés. Après les victoires de Louis XIV, douze cents partisans du roi d’Espagne émigrent en Milanais, et l’on continue en secret à faire célébrer des messes pour la victoire de l’Espagne. Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, la Franche-Comté est le théâtre de complots et de menaces de trahison dont, il est vrai, les partisans de l’ancienne domination ne tirent aucun profit. De plus, les officiers comtois, lorsqu’ils achètent une charge, essaient de faire reconnaître qu’en cas de changement de maître, la vénalité des offices pouvant disparaître, le prix des charges devra leur être remboursé. On ne croyait guère au rattachement définitif à la France. En 1709, des Comtois au service de l’Empire s’efforcent encore de soulever contre l’administration française les paroisses de la montagne jurassienne.

Le cas du Roussillon est quelque peu différent. Il fait partie de cette Catalogne qui, pour le roi d’Espagne, est toujours une province difficile à gouverner. Certes, les Perpignanais célèbrent l’échec de l’attaque française contre leur ville en 1597 et fournissent des troupes à leur souverain, mais, en 1641, la Catalogne s’est révoltée contre la puissance castillane et Barcelone a appelé à l’aide des forces françaises. Le roi de France devient comte de Barcelone et de Roussillon. Il le restera jusqu’à la reconquête espagnole de la Catalogne en 1652. Finalement, le traité des Pyrénées laisse au royaume le Roussillon et la Cerdagne (1659). La France disposait d’un parti dans la province, comme l’Espagne elle-même. L’introduction de la gabelle provoque l’apparition de bandes de faux-sauniers (les Angelets), dont l’on ne saurait dire s’ils agissent par goût du profit ou par fidélité à leur ancien seigneur. L’assimilation se fit plus facilement lorsqu’un prince français monta sur le trône de Madrid (Philippe V). Le Roussillon resta dévoué à la France alors que les Catalans de Barcelone se donnaient à l’archiduc Charles, rival de Philippe V.

Le respect des particularismes locaux

L’assimilation des régions conquises fut facilitée par le respect des privilèges anciens. Le roi et les villes rattachées à la France sont unis par des traités de capitulation qui comportent l’engagement du souverain de reconnaître les libertés locales. Louis XIV accepte de prononcer en Franche-Comté le serment des comtes de Bourgogne et à Lille celui des comtes de Flandre, sorte de compensation au serment de fidélité des habitants. Mais il ne s’agit pas d’une union personnelle et le roi se réserve toujours le droit de légiférer sans être lié par les premiers accords.

Les intendants sont les agents les plus notables de cette politique royale. Ils sont issus, pour la plupart, des grandes dynasties de maîtres des requêtes où la monarchie recrute ses administrateurs: à Lille, Paul Barillon, Michel Le Peletier, Dugné de Bagnols; à Perpignan, Camus de Beaulieu et Raymond de Trobat, ce dernier d’origine catalane. En Alsace, Colbert de Croissy est intendant pendant onze ans et Jacques de La Grange pendant vingt-cinq; en Franche-Comté, Louis de Chauvelin reste treize années en poste. Ils font certes obéir les provinces, mais défendent aussi leurs intérêts à la cour.

Le gouvernement n’est guère favorable aux états provinciaux, qui disparaissent progressivement dans certaines provinces. Ces assemblées, généralement formées des représentants des trois ordres, doivent consentir et répartir l’impôt. En Franche-Comté, ils se sont réunis pour la dernière fois en 1666. Après la conquête, Louis XIV ne les convoquera plus.

De même, les états sont ignorés en Flandre maritime. Ils sont par contre maintenus à Lille, en Hainaut, en Artois et en Cambrésis. D’une manière générale, on poursuit la perception des impôts existants sous la domination espagnole en essayant de leur faire rendre le maximum. La gabelle est introduite en Roussillon, mais non en Alsace, ni en Flandre, Artois et Hainaut. Les impôts nouveaux, créés à la fin du XVIIe siècle, la capitation et le dixième, n’épargnent pas les nouvelles provinces, mais celles-ci obtiennent le plus souvent leur abonnement.

Les coutumes locales et les cours de justice propres aux territoires conquis sont la plupart du temps conservées. Des parlements ou des conseils souverains sont institués, qui accélèrent la francisation: parlement de Metz en 1633, de Douai en 1686, conseil souverain d’Alsace en 1657 et du Roussillon en 1660, de Corse en 1768, de Pignerol qui ne dura que de 1631 à 1696. Le parlement qui existait dans la Franche-Comté espagnole fut maintenu, mais transféré de Dole à Besançon. Le conseil souverain d’Artois, installé par Charles Quint en 1540, subsista sous le régime français.

Les Lorrains, pendant les occupations françaises du XVIIe siècle, avaient peu apprécié d’être placés dans le ressort du parlement de Metz. C’était comme si l’on avait supprimé la personnalité lorraine. Nancy avait perdu son baillage, et la chambre des comtes de Bar avait été supprimée au profit de celle de Paris. Au XVIIIe siècle, il n’en fut pas de même, et cette politique nouvelle dut rendre plus aisé le rattachement au royaume: en 1768 furent créés à Nancy des Grands Jours, érigés en parlement en 1775. Les chambres des comptes de Bar et de Nancy furent rétablies.

Dans les anciennes dépendances espagnoles, la vénalité des offices n’existait pas. Les cours présentaient des candidats au choix du souverain. Louis XIV maintint pendant quelque temps ce mode de recrutement, bien préférable au système français. Mais, avec les besoins d’argent qui grandissaient avec les guerres, il fallut introduire la vénalité. Seul, le Roussillon en demeura exempt.

L’assimilation se fit d’autant mieux que certaines provinces gardèrent au point de vue douanier le statut d’«étranger effectif», les douanes ne concernant que le trafic vers l’intérieur du royaume. Les habitants des nouvelles conquêtes demeurent libres de commercer avec les pays voisins sans entraves; ce fut le cas notamment de l’Alsace. D’autres provinces conquises, comme la Flandre, étaient «réputées étrangères», c’est-à-dire qu’un cordon de douanes les isolait du côté de la France comme du côté de l’étranger.

La lenteur des transformations imposées aux nouveaux sujets du roi est un gage de leur docilité. On ne modifie que peu à peu les usages locaux. Ainsi, Strasbourg a une monnaie spéciale, distincte de la livre tournois, de 1681 à 1718. Quand, en octobre 1707, on décide le cours forcé des billets de monnaie, les provinces conquises en sont exceptées.

De même, les particularismes religieux sont respectés. On s’efforce de ne pas envoyer de protestants dans la Flandre et l’Artois catholiques. L’édit de Nantes n’y fut jamais appliqué. Le roi de France, dans ces pays très fidèles à la religion romaine, s’efforçait d’être aussi catholique que son cousin d’Espagne. Mais, dans les pays où les communautés protestantes étaient nombreuses, comme en Alsace, les garanties du traité de Münster ou de la trève de Ratisbonne furent sauvegardées. Aucune mesure comparable à celles qui suivirent dans le royaume la révocation de l’édit de Nantes (dragonnades, exil des pasteurs, conversions forcées, etc.) ne fut prise. Tout au plus réintroduit-on l’exercice du culte catholique là où il était banni. Seuls sont interdits les mariages mixtes, le divorce des réformés et la conversion des catholiques au protestantisme. Par conséquent, il va régner un état conservatoire, même si les faveurs de l’administration vont souvent aux catholiques.

Avec le clergé, la politique royale fut aussi prudente. Le roi obtient du pape le droit de nomination des évêques, alors qu’ils étaient les élus des chapitres au temps de la domination espagnole, et les nouveaux prélats furent en général des Français de l’intérieur du royaume. Les moines et les religieux avaient beaucoup d’influence sur les populations. On fit en sorte que les supérieurs locaux fussent sujets français. Les couvents furent rattachés à des provinces françaises de leur ordre, pour éviter qu’ils ne devinssent des instruments de l’étranger. À la fin du XVIe siècle, les jésuites étaient les plus suspects d’entente secrète avec l’Espagne; au XVIIe siècle, on accuse principalement les capucins d’entretenir l’attachement des populations envers l’empereur, le duc de Lorraine ou le roi d’Espagne.

Les intendants s’efforcèrent de faire adopter les mœurs et la langue françaises. Les actes officiels durent être rédigés en français, mais on toléra l’emploi habituel des langues et dialectes locaux. En Flandre, les collèges et les écoles n’utilisent pas le français dans leur enseignement, et assez peu en Alsace. En Roussillon, il existe au contraire une politique favorable à l’extension de la langue du roi: tous les officiers doivent connaître le français, et l’on multiplie les «petites écoles» bilingues. À Paris, le testament de Mazarin avait fondé le collège des Quatre Nations (aujourd’hui l’Institut de France), pour des boursiers originaires des provinces qu’il avait gagnées à la France (Pignerol, Alsace, Flandre, Artois et Hainaut, Roussillon), afin que ces «nations» connussent «combien il est avantageux d’être soumis à un si grand roi» et que toutes ces provinces devinssent «françaises par leur propre inclination aussi bien qu’elles le sont maintenant par la domination de Sa Majesté».

Le vœu de Mazarin devait être exaucé. L’attachement des nouvelles provinces au roi de France, et à travers lui au royaume tout entier, ne se fit pas attendre. Les Lillois, dont la ville est occupée en 1708 par les Anglo-Hollandais, «envisagent comme un malheur infini le changement de domination», et les familles nobles d’Alsace, de Lorraine, de Roussillon, de Franche-Comté et des Flandres servent très rapidement dans les armées et l’administration françaises. Le prestige de leur nouveau souverain en Europe facilita l’assimilation des provinces conquises, tout autant que le maintien des privilèges religieux, juridiques, économiques et fiscaux.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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